Le Sénat appelle à "responsabiliser" les entreprises qui reçoivent des aides publiques information fournie par AFP 08/07/2025 à 16:49
La commission d'enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises, au terme de six mois pour en débroussailler le maquis, a proposé mardi "d'imposer le remboursement total" d'une aide si l'entreprise délocalise dans les deux ans le site ou l'activité l'ayant justifiée.
Elle a appelé à un "choc de responsabilisation" pour ces entreprises, tout comme pour celles qui sont aidées et distribuent des dividendes, pour lesquelles il convient selon elle de "déduire les aides publiques du périmètre du résultat distribuable".
Cette commission d'enquête avait été lancée en janvier à l'initiative du groupe communiste et écologiste CRCE-K, auquel appartient le rapporteur Fabien Gay, dans un contexte de remontée du nombre de plans sociaux.
"Ce qui nous a stupéfiés, c'est qu'il n'existe aujourd'hui aucune définition précise des aides publiques, qu'il existe 2.252 dispositifs et qu'il n'y a aucun tableau centralisateur: donc l'administration a été incapable de nous dire combien elle donnait, à qui et à quoi cela servait", a déclaré le rapporteur devant la presse.
La commission a dû s'atteler elle-même à calculer le montant des aides publiques, qui représentaient selon elle 211 milliards d'euros en 2023.
Le rapport n'émet "aucun jugement de valeur" sur ce montant, a souligné son président, le sénateur LR Olivier Rietmann, car les aides sont parfois beaucoup plus importantes dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis.
- "Satisfecit global" -
Les sénateurs font 26 propositions, après avoir entendu de février à juin 33 dirigeants de très grandes entreprises comme LVMH , CMA-CGM, Kering, Danone, Orange, EDF, Airbus, Carrefour ou TotalEnergies.
Le rapport délivre "un satisfecit global sur le contrôle des aides" comme le crédit d'impôt-recherche (CIR) ou le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), mais juge "défaillants" le suivi et l'évaluation des dépenses fiscales sous la forme de réductions d'impôts, comme le Pacte Dutreil, qui accorde un abattement de 75% aux enfants reprenant l'entreprise familiale.
Il appelle à trois autres "chocs": "transparence", avec la création par l'Insee d'ici au 1er janvier 2027 d'un tableau annuel détaillé des aides; "rationalisation", avec l'obligation d'une étude d'impact avant de créer toute nouvelle aide publique "d'un montant significatif"; "évaluation" - un domaine pour lequel "on est dans les choux", selon M. Rietmann - pour déterminer dès la création d'une aide la manière dont elle sera ensuite évaluée.
Le rapport épingle certaines entreprises comme Michelin, qui a perçu 72,8 millions d'euros d'exonérations et crédit d'impôt en 2023-2024, mais annoncé un plan social de 1.254 salariés et, selon les calculs du rapporteur, versé 1,4 milliard d'euros de dividendes en 2024.
- "Pas anormal" de rembourser -
Mais Michelin est salué aussi pour sa transparence en matière d'aides reçues. Son PDG Florent Menegaux a donné "l'exemple", selon le sénateur Rietmann.
M. Menegaux avait le 18 mars reconnu que des machines, achetées grâce à 4,3 millions d'euros d'aide au titre du CICE pour le site de La-Roche-sur-Yon, étaient finalement parties dans d'autres usines en Europe suite à la fermeture du site vendéen. Il avait estimé lors de son audition qu'il ne "serait pas anormal" que Michelin rembourse.
Ce remboursement "pour des raisons d'exemplarité", fait l'objet de la proposition 22.
Fabien Gay a salué "un débat de bonne tenue, éclairant et éclairé", avec les patrons, et M. Rietmann a souligné "une vraie volonté de la part de ces grands patrons de multinationales de considérer la France comme leur pays", même si elle n'est pas "championne du monde de l'aide publique".
M. Rietmann, qui se dit "très libéral", a salué la collaboration avec M. Gay, avec lequel "il a eu plaisir à échanger et travailler". Le sénateur communiste en retour a estimé que l'adoption à l'unanimité du rapport montrait que "des personnalités de partis différents peuvent mener des auditions dans un dialogue permanent et dans la bonne humeur".
Les sénateurs espèrent désormais une traduction législative ou réglementaire de leurs recommandations.