
Des gardiens de prison se tiennent à côté des cellules du Centre National d'Évaluation (CNE), une installation dédiée à l'évaluation de la personnalité et du risque potentiel des détenus, à la prison de Fresnes, à Fresnes, au sud de Paris, le 15 mai 2025 ( AFP / Thomas SAMSON )
Au bout de combien d'années est-on prêt à sortir de prison ? Comment savoir si on est encore dangereux ? A la prison de Fresnes, des criminels jouent leur avenir lors d'une évaluation de six semaines, obligatoire avant une éventuelle remise en liberté.
Il flotte comme un parfum de rentrée dans cette aile coupée du brouhaha de la détention classique par une porte sécurisée et un écriteau rouge aux lettres dorées: Centre national d'évaluation (CNE). Au compte-gouttes, une vingtaine d'hommes s'installent sur les chaises en plastique du gymnase, s'observent du coin de l'oeil. Pas mal de cheveux gris, quelques dreads et tatouages, des maillots de foot, une béquille, des lunettes en cordon autour du cou.
Des centaines de détenus passent chaque année dans les quatre CNE de France pour cette évaluation, imposée aux condamnés à de longues peines qui ont demandé une libération conditionnelle.
"Bonjour, allez-y, installez-vous", encourage la directrice, assise avec son équipe derrière une table en bois. Sous leurs yeux, les fiches des détenus. Vol avec arme et meurtre, assassinat, viols sur mineurs, personne vulnérable ou conjoint...
"Vous êtes ici pour une évaluation de dangerosité", lance la directrice qui "sait" que "ce n'est pas simple" de revenir devant des inconnus sur sa vie et la raison d'une incarcération. Mais "soyez actifs, ayez les clefs entre vos mains".
- "On va penser que c'est trop tôt" -

La bibliothèque du Centre National d'Évaluation (CNE), une installation dédiée à l'évaluation de la personnalité et des risques potentiels des détenus, à la prison de Fresnes, située au sud de Paris, le 15 mai 2025 ( AFP / Thomas SAMSON )
Chaque détenu se voit attribuer un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (Cpip), un psychologue, qui le verront 4-5 fois chacun en tête-à-tête, et un surveillant qui observera son comportement. Leur synthèse sera envoyée au juge chargé de statuer sur la libération. Si elle est rejetée, il faudra recommencer - voire repasser par le CNE au-delà de deux ans.
Les entretiens se déroulent dans d'anciennes cellules au premier étage du bâtiment. Barreaux aux fenêtres, alarmes "coup de poing" au mur, en plus de celles que les professionnels portent à la ceinture - même si les incidents sont extrêmement rares.
Nicolas*, 34 ans, joues rebondies par un éternel sourire, entre dans le bureau de sa Cpip Solène.
Il portait le premier jour une veste de sport noire floquée au dos de lettres blanches disant "j'ai trois enfants magnifiques", suivies de leurs prénoms.
Aux surveillants il a décrit les cadeaux qu'il confectionne pour eux. En omettant de préciser que la cour d'assises lui a totalement retiré l'autorité parentale en le condamnant à 11 ans pour violences et viols quasi-quotidiens de son épouse. "La femme qui m'a mis en prison", comme il dit avant que sa Cpip ne corrige: "C'est vous qui vous êtes mis en prison tout seul, Monsieur".
Nicolas acquiesce poliment. Raconte sa vie sentimentale et familiale à la demande de Solène. Mais pas un mot sur ce qui lui vaut d'être ici.
Solène l'interroge sur cette fois où il a laissé sa femme enceinte de six mois sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute, de nuit, après une dispute. "J'en suis pas fier", répond Nicolas, dont le visage se crispe légèrement. Et la fois où il lui a ouvert l'arcade ? "Une grosse journée à l'usine, ça a fini en bousculade". Les viols conjugaux ? "Un petit câlin après une dispute elle prenait ça pour un viol". Sa femme a fini par porter plainte après une ultime soirée de cauchemar, où il l'avait traînée depuis la salle de bain avant de la violer par terre dans leur chambre.
"J'ai 140 personnes qui attestent que j'étais un super bonhomme", s'énerve Nicolas. "La violence, elle vient de l'alcool et je ne bois plus".
"L'alcool facilite la violence, mais il n'en est pas à l'origine", essaie de faire comprendre la Cpip. "C'est à ça aussi que sert la peine, que vous vous mettiez au travail".
Nicolas ne voit pas. Parle d'un codétenu "qui a fait des trucs aux enfants et qui a pris moins".
"On n'aime pas quand vous comparez des faits qui n'ont rien à voir", répond la Cpip. Nicolas n'écoute plus vraiment.
"Oui, mais y a un moment j'aimerais bien sortir quand même".
Un silence.
- "Faut me laisser une chance, j'ai l'employeur qui me reprend, mes parents...
- Nous on a la crainte qu'il y ait un risque de récidive car c'est pas tout à fait mature. On va penser que c'est trop tôt".
Fin de l'entretien. Sur le visage de Nicolas, le sourire a disparu.
- L'échiquier de la vie -
"Aujourd'hui on va parler des choses présentes dans votre vie", dit sa Cpip à Yacine, 39 ans, survêtement et cheveux coiffés. Condamné à 15 ans dans une affaire de séquestration avec torture sur fond de trafic de stupéfiants, il a déjà purgé une dizaine d'années.
La Cpip déploie un échiquier imprimé, montre les pions. Le roi, "c'est vous".
A lui de dire ce qu'il met sur les dames, tours, cavaliers...

Un gardien de prison marche dans le couloir de la prison de Fresnes, à Fresnes, au sud de Paris, le 15 mai 2025 ( AFP / Thomas SAMSON )
La méthode aide "les personnes réfractaires à parler", explique-t-elle hors entretien. Effectivement au fil des pions, Yacine déroule sa vie. Sans surprise il met sa femme et ses enfants tout en haut. Puis la liberté. "Je sacrifierai plus jamais ça", dit-il d'une voix peu assurée. "Ma femme a rien demandé, pour vivre seule, éduquer mes enfants seule, tout gérer seule. C'est pendant ces années que je me suis rendu compte, mais ça se rattrape pas".
Ensuite: "les loisirs". "En détention j'ai appris la peinture, sourit-il. Je me disais c'est pour les bourgeois mais en fait une toile c'est cinq euros, la peinture, avec 20 euros vous avez toutes les couleurs et les pinceaux ça coûte rien".
D'autres choses qui paraissaient inaccessibles ? "Les grandes écoles... l'école tout court", qu'il a vite lâchée. Au quartier, il y avait ce copain "bien habillé" sans "soucis financiers"... "ça m'a donné envie". De quoi ? "De briller".
"C'est à partir de là que j'ai basculé dans les conneries. On m'a forcé à rien du tout. Je me sentais invincible et trois mois après je me suis retrouvé en prison" pour la première fois, poursuit Yacine qui en a oublié l'échiquier.
"Quand je vois ce qu'il se passe aujourd'hui, des petits de 14 ans qui se tuent pour de la drogue... Je suis pas fier de moi, j'ai participé à ça".
- "Tout est carré" -
De l'autre côté du couloir dans le bureau du surveillant en uniforme bleu de la pénitentiaire, se trouve Olivier, un ancien commercial condamné à 23 ans de réclusion pour avoir tué sa femme. Le passage au CNE se passe bien ? s'enquiert le gradé - Olivier ne sort ni en promenade ni en activité.
"Je veux pas polluer mon évaluation... Ca fait 12 ans que je suis en prison, je connais la maison. +T'as fait quoi, et lui...+ Ca m'intéresse pas ça, chef".
Jambes écartées sur sa chaise et mains jointes pour convaincre, le détenu de 50 ans parle bien. "Je suis coupable donc c'est normal que je sois en prison". Mais maintenant que sa période de sûreté (où il ne pouvait pas demander de libération) a pris fin, Olivier "aspire à une chose: sortir".
"J'estime avoir prouvé à tout le monde que je suis une personne réinsérable et pas dangereuse. Vous savez chef, le comportement que j'ai en détention c'est celui que j'ai dehors".
Le gradé, impassible, lui demande ce qu'il fera en cas de libération.
"Trouver un travail d'ouvrier à l'usine", se réinstaller chez lui, avec ses parents et son fils. "Je suis peinard, j'ai déjà le logement. Les enquêtes de voisinage des gendarmes sont déjà faites, elles sont bonnes, tout est carré". Avec les proches ? "Impeccable", promet encore Olivier.
Quant au CNE, pas d'inquiétude. "Tout se passe bien, l'équipe est aux petits soins".
- Le bilan -
Quatre semaines après le début du cycle, c'est l'heure d'un bilan d'équipe. Salle de réunion, dossiers "dangerosité" sur les tables en U. Les professionnels n'aiment pas ce mot qui signifie "tout et rien". "C'est bien beau de dire +il est dangereux+ mais on fait quoi ? A un moment il va sortir", commente une Cpip.
La récidive criminelle est plus basse (autour de 10% en 2023) que la récidive délictuelle (presque 24%). Et à l'opposé des discours politiques réclamant au fil des faits divers fermeté et peines de prison intégralement appliquées, tout le monde s'accorde ici à dire que mieux vaut un aménagement de peine accompagné des années plus tôt qu'une sortie "sèche" du jour au lendemain.
Pour Nicolas, l'homme condamné pour de multiples viols sur son épouse, ça ne sera pas pour tout de suite.

une cellule du Centre National d'Évaluation (CNE), un établissement dédié à l'évaluation de la personnalité et des risques potentiels des détenus, à la prison de Fresnes, à Fresnes, au sud de Paris, le 15 mai 2025 ( AFP / Thomas SAMSON )
"Il a le discours de quelqu'un en début de peine alors qu'il sort en 2028, c'est pas très rassurant", commente sa Cpip, recommandant des groupes de parole en détention.
On passe à Olivier, l'ancien commercial qui a tué sa femme. "Il est assez fier de son parcours exemplaire. Il lisse beaucoup, c'est trop gros, trop parfait. Pour autant il n'est pas inauthentique", estime sa conseillère. Et s'il a "encore du travail à faire sur la réflexion", il n'y a pas de "risque de récidive élevé", juge-t-elle.
Pour Yacine, qui avait juré devant son échiquier que le trafic c'était "terminé", les professionnels sont plutôt confiants également.
Il a déjà eu une vingtaine de permissions de sortie sans incident et a trouvé une association de réinsertion pour l'accompagner une fois dehors, sous bracelet électronique. Certes il n'"assume pas pleinement" son rôle parmi les têtes de réseau dans son affaire et est facilement retombé dans le trafic de drogues à cause de difficultés financières - "ça reste le point de vigilance", note sa Cpip. Mais il a vieilli, mûri, acheté un pavillon avec sa femme... il "semble déterminé, prêt à changer de vie", abonde le surveillant.
"Donc plutôt favorable ?", demande la directrice. La Cpip approuve: "On a envie d'y croire".
- "Faudra pas tout dire" -
Les six semaines touchent à leur fin.
Romain, 44 ans, style propret qui détonne - jean, baskets blanches, petit pull - voit le psychologue pour un dernier entretien.
Il a été condamné à 15 ans de prison pour des viols sur plusieurs enfants. Comme souvent dans ces affaires, il a été victime, petit.
En détention il a suivi un traitement inhibiteur de libido, validé une formation d'assistant de direction, prospecté pour récolter une promesse d'embauche. S'il sort il aura un suivi psy, un groupe de soutien disponible 24h/24. Au CNE les avis sont bons, et il est probable qu'après plus de 10 ans en prison sa demande soit validée.
Comment l'envisage-t-il ?, demande le psychologue.
Romain a peur. Pas de "reproduire les actes de mon passé", dit-il: "s'il y a quelque chose qui remonte, je saurai qui appeler".
Ce qu'il craint surtout, c'est de devenir un paria à son retour dans la société. Que quelqu'un "vienne à savoir" ce qu'il a fait. Qu'on ne l'invite pas "parce qu'il y a les enfants à la maison".
S'il pouvait expliquer, il dirait "accordez-moi deux heures et on parle. Si après vous avez plus envie de me voir..." Et même dans ce cas, "comment on enclenche le sujet ? Est-ce qu'il faut en parler avant ?", s'interroge-t-il à voix haute. Et s'il le fait, comment les autres, à commencer par ses voisins, vont-ils réagir ?
Le psy tempère: "Ca dépend des gens et de leur histoire". Et puis, ajoute-t-il, "vous avez le droit de fermer la porte si vous ne voulez pas l'ouvrir, vous pouvez vous recréer".
(* tous les prénoms ont été modifiés.)
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